Interview de Simone de Montmollin

Présidente de l'Union Suisse des Œnologues (USOE), Simone de Montmollin est Conseillère nationale membre de la Commission de la Science, de l’Éducation et de la Culture. Elle est également membre du Conseil FH SUISSE. Dans cette interview elle parle de son métier d'oenologue, des défis du métier et de sa carrière. 

Qu’est-ce qui vous a motivé à étudier l’œnologie ?
L’œnologie est une science à la croisée de plusieurs disciplines : agronomie, chimie, microbiologie, climatologie, culture, gastronomie… Et le produit de son travail, le vin, s’inscrit dans une tradition millénaire qui accompagne l’Humanité depuis plus de 8000 ans. Finalement, l’Œnologue porte l’héritage de ce que l’homme a su faire de meilleur !

Quelle importance a cette spécialité dans le domaine de la viticulture ?
Les deux disciplines sont intimement liées. Sans raisin d’excellente qualité, impossible de faire un bon vin. Produire du raisin de qualité suppose une parfaite connaissance du terroir (sol, climat, cépage, tradition) et maîtrise des pratiques viticoles les plus pointues. L’élaboration d’un vin équilibré, digne de son terroir d’origine, requiert la connaissance des phénomènes physico-chimiques qui présideront à la transformation du raisin en vin. En Suisse, la formation d’Œnologue a de tout temps intégré ces deux volets indissociables. Une solide maîtrise des pratiques viticoles et œnologiques est une force que d’autres grands pays viticoles nous envient.

Quels ont été les changements, suite au passage en HES et à l’intégration de l’école de Changins à la HES-SO, sur votre métier d’Œnologue et votre formation ?
Avec le passage au système dit de « Bologne », l’organisation de la formation a dû être adaptée. Auparavant, deux écoles en Suisse (Changins et Wädenswil) décernaient un diplôme d’ingénieur ETS en viticulture et œnologie, doublé du titre d’Œnologue, qui était protégé par un arrêté du Conseil fédéral. A cette époque, les métiers de la terre dépendaient directement des Offices cantonaux de l’agriculture, ce qui facilitait la prise en considération de certains particularismes. Avec le passage aux HES, un seul centre de compétence suisse (Changins) a été maintenu et les métiers de la terre ont été rattachés aux Départements de l’instruction publique, moins sensibles aux besoins spécifiques de la pratique. Cela a par exemple eu des conséquences sur la flexibilité pour prendre en compte la date des vendanges, qui change chaque année. C’est une période clé pour étudier la maturation du raisin et l’œnologie en général. De nombreuses collaborations sont établies avec les domaines privés. La rigidité des grilles horaires du système HES a été un challenge. Ensuite, la durée des études imposée par le cursus Bachelor a raccourci d’un semestre le temps dédié au travail de diplôme, dont les thèmes de recherche dépendent des cycles biologiques de la vigne. La nature et l’ampleur des travaux de Bachelor ont dû être ajustées. Pour les points positifs, faire partie d’un réseau de hautes écoles reconnu en Europe a été favorable à une meilleure reconnaissance internationale de notre formation et de notre titre.

Quels sont les challenges de ces prochaines années pour les Œnologues ?
De manière générale, l’Œnologue dépend très directement des conditions-cadres de la filière vitivinicole. Les difficultés structurelles, renforcées par la crise du Covid-19, qui pèsent sur la filière impactent également les Œnologues. Notons aussi la succession de millésimes marqués par les aléas climatiques. Cela impose de pouvoir s’adapter à des situations très diverses afin d’assurer l’élaboration de vins équilibrés. La qualité de la formation et de la formation continue est ici centrale. Par ailleurs, des compétences dans les domaines des nouvelles technologies appliquées à notre secteur (smart farming, IA, etc…), de la gestion et du management doivent trouver une place adéquate dans le cursus Bachelor. Les jeunes diplômés Œnologues sont très rapidement amenés à prendre des responsabilités tant techniques que managériales. Ils doivent avoir les outils leur permettant de répondre aux attentes de la pratique. Le positionnement clair de la formation d’Œnologue en Suisse figure parmi les buts de l’USOE et reste toujours d’actualité. La révision du plan d’étude cadre doit être l’occasion d’adapter le cursus de formation pour répondre aux évolutions techniques et économiques tout en maintenant un haut niveau scientifique, conforme aux exigences posées par les résolutions de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV). L’OIV définit les critères minimaux du niveau et du contenu de formation permettant l’octroi du titre d’Œnologue. Des différences peuvent exister entre les pays mais une formation tertiaire, de niveau universitaire est requise. En Suisse, c’est la formation de Bachelor en viticulture et œnologie qui seule autorise l’utilisation du titre d’Œnologue.

Quelles perspectives vous donnent l’USOE et plus largement FH SUISSE dans l’atteinte de ces challenges ?
Afin de conserver la valeur de ce diplôme sur le marché du travail, il faut maintenir une orientation fondée sur les compétences pratiques, bien adaptées aux évolutions des connaissances scientifiques, techniques et économiques. Des enjeux comparables sont observés dans d’autres filières techniques sanctionnées par un Bachelor. Défendre ces objectifs nécessite une compréhension mutuelle. C’est le rôle des associations sectorielles comme l’USOE, dont le message doit ensuite être porté d’une seule voix par la faîtière FH SUISSE.

Qu’est-ce qui vous a motivé à vous investir pour défendre la branche ?
De manière générale, le vin jouit d’une bonne réputation, synonyme de partage et de convivialité. Grâce à l’avènement des connaissances et le développement de la formation, la qualité des vins suisses n’a cessé de progresser depuis vingt ans. Ce qui est moins connu sont les impératifs de la production, de la vigne à la cave, pour assurer cette qualité et cette réputation. Une production indigène qui réponde aux attentes organoleptiques du consommateur, aux impératifs environnementaux et qui reste concurrentielle sur le marché suppose une formation très pointue. La vulgarisation et l’information du public sur ces sujets est indispensables pour sensibiliser aux réalités du terrain. Cela contribue à valoriser notre savoir-faire tout comme le produit de notre travail, le vin.

Et qu’est-ce qui vous a amené à faire de la politique ?
Mon engagement politique a débuté avec l’Assemblée constituante genevoise en 2008. Ce qui m’avait motivé à l’époque reste d’actualité : donner aux questions agricoles la place qu’elles méritent dans le débat politique et contribuer à favoriser une meilleure compréhension des réalités des professionnels de la terre. Cette contribution a rendu possible l’introduction d’un article sur l’agriculture dans la Constitution genevoise. Je me suis alors rendu compte à quel point il était indispensable d’être présente dans les débats pour apporter une information solide et documentée, légitimée par le parcours professionnel, pour que les élus puissent se faire une opinion objective. C’est une manière d’œuvrer pour l’intérêt général tout et en défendant ma profession ainsi que les autres métiers de la terre. C’est aussi une manière de contribuer à notre démocratie, fondée sur le système de milice, auquel je suis attachée.

Aujourd’hui comment sont organisées vos journées, en tant que conseillère nationale et vos différents mandats liés à la défense de la branche et la formation ? Est-ce qu’il y a encore du temps pour « pratiquer » le métier d’œnologue ?
Être élue au Conseil national, la plus haute instance législative du pays, est à la fois un honneur et une responsabilité. J’y dédie l’essentiel de mon temps, partagé entre les quatre sessions plénières de trois semaines chacune et les travaux de Commission. A cela s’ajoute le travail de documentation, préparation, information du public en prévision des scrutins populaires, communication… Il ne me reste en effet que peu de temps. Raison pour laquelle j’ai accepté des mandats en cohérence avec mes aspirations professionnelles, ce qui me permet de rester aux prises avec les défis techniques. Cela dit, je reste toujours active en tant qu’œnologue indépendante.

Quels ont été (ou sont) les plus grands challenges ou atouts en tant que femme dans le milieu de l’œnologie ? Elles sont peu nombreuses les œnologues, non ?
La progression des femmes dans les métiers de la terre, comme en œnologie, suit la tendance générale des métiers techniques. Nous étions deux dans ma volée il y a 20 ans. Depuis, certaines volées ont parfois été majoritairement féminines. La mécanisation a permis de faciliter considérablement certaines tâches qui nécessitaient force musculaire et endurance. Dès lors, les impératifs physiques du métier ne sont plus un obstacle. S’agissant des avantages, je dirais que même s’il n’y a pas de différence biologique entre homme et femme quant aux aptitudes sensorielles, la sensibilité des femmes au monde qui les entoure est un atout. L’œnologie n’est pas une science exacte, l’empirisme y joue un rôle certain. La capacité d’observer et de décider, dégagée du poids des stéréotypes masculins liés au vin par exemple, est sans doute une force.

Est-ce qu’il y a des astuces d’œnologues pour trouver/reconnaître des bons vins ?
Il y a une constante assez simple : plus un vin est complexe et plus son potentiel est grand, mais plus il est difficile à décrire de manière juste et exhaustive… Cela dit, la notion de « bon vin » est toujours conditionnée. Le rapport prix/plaisir peut être une manière de définir cette notion. Chaque occasion peut trouver son « bon vin ». Et chaque vin trouve sa « bonne occasion » d’être dégusté. Le meilleur vin est celui que vous avez dans votre cave lorsque vous en avez envie. Partager un moment de convivialité y contribue indéniablement. Et les vins suisses vous offrent à cet égard une palette infinie. A chaque jour son vin suisse !


Simone de Montmollin | Dipl. Ing. Œnologue & Conseillère nationale

  • Née à Lausanne en 1968, grandit à Mies (VD)
  • Formation initiale dans le domaine médical et en économie d’entreprise
  • Réorientation en viticulture et œnologie dès 1996, obtention du diplôme d’ingénieure en viticulture-œnologie en 2001
  • Engagée dans l’enseignement et la recherche
  • 2008 débuts en politique
  • Dès 2012, effectue des mandats en tant qu’indépendante pour différentes organisations professionnelles
  • 2019, élection au conseil national, membre de la Commission de la Science, de l’Éducation et de la Culture.
  • Présidente de l’Union Suisse des Œnologues (USOE) dès 2019, qu’elle a dirigé dès 2003
  • Membre du comité de l’Union Internationale des Œnologues (UIOE) et à ce titre, experte déléguée à l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV), à Paris.
  • Membre du Conseil FH SUISSE


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